POURQUOI JE SUIS NEE EN FRANCE...
POURQUOI JE SUIS NEE EN FRANCE...
Le printemps 1945, est une date mémorable dans l’histoire des pieds-noirs.
Chacun se souvient de ce massacre, commis avec une telle barbarie, chacun se souvient de toutes ces victimes innocentes et de leur nombre, des armes utilisées.
A cette époque-là, mes parents habitaient Saint-Arnaud, mon frère aîné avait 3 ans, mon frère cadet était encore bébé. Mon père, excellent maçon, travaillait chez certains colons, et effectuait leurs travaux de maçonnerie, ma mère, était mère au foyer.
Il s’agissait d’un couple heureux, et les modestes revenus, ceux que mon père rapportait grâce à son travail, leur autorisaient une vie heureuse.
Ma mère, avait une sœur de 10 ans son aînée, l’époux de cette sœur était « répartiteur des contributions ».
Cet oncle par alliance, grâce à sa profession se rendait régulièrement dans les « douars », et côtoyait la population locale. Il entretenait avec cette population d’excellents rapports.
Toutefois, mon oncle, une sorte de « visionnaire » (ceci s’est vérifié par la suite dans bien des situations !) commençait à ressentir le malaise qui s’installait, et comprenait que quelque chose allait se passer, était-ce de par les relations qu’il avait avec les habitants qu’il contrôlait ? ou simplement une impression ;..nous ne l’avons jamais su...toujours est-il, que, se rendant à Saint-Arnaud, il a fit une visite à mes parents, leur disant « Suzanne, Louis, vous avez deux enfants, et nous en avons deux aussi, il y a nos parents encore en vie (mes grands-parents maternels), un jour l’Algérie, il faudra la quitter, il faudra la laisser, et si vous ne voulez pas être obligés de partir en laissant tout ce que vous avez construit ici, je vais vous donner un conseil que vous suivrez si vous le voulez : nous avons décidé de partir, de rentrer en France. Réfléchissez, vous avez la possibilité de partir avec nous, nous sommes décidés. Il y aura la place pour vous et vos enfants, et nos beaux-parents » ...
Une petite précision, concernant cet oncle : il était le beau-frère d’une des victimes du massacre de Sétif...cette victime, tuée de 17 coups de couteau donnés dans la poitrine, l’acharnement était tel, que son portefeuille a été retrouvé transpercé par la lame...
Une difficulté pour ce qui allait être » l’expédition » : ma grand-mère maternelle était aveugle depuis 25 ans...
La décision ne fut pas facile à prendre, ils étaient heureux, là, sur cette terre qui les a vus naître, au milieu de leurs familles, frères, sœurs, oncles, tantes et amis.
Arriver dans un pays inconnu, rencontrer une certaine hostilité, trouver ce pays affaibli par 5 années de guerre, se faire nouvelle vie, de nouvelles connaissances, rien ne serait épargné ! pourtant, cette décision, ils l’ont prise, pensant qu’il s’agissait de la voie de la raison, du bon sens.
Il s’agissait de quitter un pays, Leur Pays. Il ne le reverraient jamais ! çà aussi, ils le savaient !
Le jour du départ, à là petite gare de Saint-Arnaud, il y avait presque tous les habitants du village, tous ceux qui les connaissaient, les adieux déchirants, et cette petite phrase prononcée à l’oreille de mon père, de la part d’un colon qui l’aimait beaucoup : « Loulou, puisque ta décision est prise, je la respecte, mais sache une chose, si tu veux revenir chez nous, si tu n’as plus d’argent, écris-moi. Je paie pour toi et ta famille le billet de retour.... » cette petite phrase, mon père l’a longtemps prononcée...et je crois même qu’il serait revenu. Ce qui l’a retenu, c’est de ne pas vouloir imposer ce choix à mes grands-parents, âgés, ma grand-mère aveugle, un retour vers l’Algérie aurait été trop pénible....
Ils sont arrivés, à Marseille, puis acheminés en train dans le département du Lot, où mon oncle avait acheté une petite propriété par « correspondance ».
A part quelques exceptions d’agriculteurs qui les ont aidés, ils ont rencontré méfiance, pour ne pas dire « soupçons »....
On s’est étonné de les entendre parler le Français, on s’est étonné de leurs prénoms, de leurs noms : ces gens venus d’Algérie, étaient donc Français !!! à la plus grande surprise de beaucoup d’entre eux...
Et, un ouvrier maçon Italien, à l’accent très prononcé, de dire à mon père :’vous les étrangers qui venez nous enlever le travail en France »....
Mais ce n’était que le début....
Mon grand-père, sans sa terre natale, totalement dépaysé a un peu perdu la tête ; chaque jour, se tournant d’un côté ou de l’autre, pour chercher la direction de l’Algérie, avec ces mots prononcés en langue arabe « mon Algérie où es-tu » ?...
Je suis née, après quelques années de vie sur le sol Français, en 1951, je suis donc la première de ces générations...
Ma grand-mère, usée, a vécu encore 7 ans, je pense que la présence de ses petits enfants et enfants l’a aidé à vivre...
Mes parents, eux, étaient encore jeunes, et là, tous les espoirs sont permis quand on a courage, volonté et amour des siens.
Ils étaient installés depuis une quinzaine d’années, au moment de l’indépendance, toute notre famille s’est retrouvée chez nous ! moments douloureux, mais aussi de bonheur, parce que naturellement, tous ont voulu se rapprocher de ceux qui les avaient quittés quelques années plus tôt !
Et les Noëls ont recommencé, les baptêmes, les communions, bref, on essayait de revivre comme « là-bas »...