L’ ESCADRON

, par mansion

 Michel Alibert, Saint-Cyrien de la promotion 1954-1956, sert une première fois en Algérie à Tebessa, stage en 1958 à SAUMUR c’est le 13e dragon parachutiste. Il dirige un "escadron" d’une trentaine d’hommes dans le djebel. Il vit avec eux, combat au milieu d’eux. L’armée est pour lui une grande famille.

 Dans le quartier dont il a la charge, il a ouvert des écoles, des infirmeries, des chantiers. Il administre la population.

 Quelques mois avant le putsch, il est "loyaliste". Quand de Gaulle tient son discours sur l’autodétermination de l’Algérie en 1959, il est séduit. Mais tout au long de 1960, De Gaulle lâche des petites phrases ambiguës.

 En décembre, pour la première fois, il évoque "l’Algérie algérienne ». C’est à ce moment que les illusions s’arrêtent.

 "J’ai commencé à ressentir de l’amertume. Dans mon escadron, en un an, sept de mes hommes étaient morts, trente avaient été gravement blessés. Et c’était moi qui, à chaque fois, avait écrit aux parents... Je me sentais responsable de ses hommes. Quand on a commencé à voir des Algériens brandir des drapeaux verts aux cris de « Vive de Gaulle ! », je n’ai plus rien compris. Où allions-nous ? A quoi avait servi tout ce que nous avions fait ? ".

 Quatre mois plus tard, en opération, il apprend par la radio le putsch d’ALGER. L’attitude du général Gouraud, qui dirige le Constantinois, semblant ambigue, le 13e dragon parachutiste marche sur Constantine. Le 23 au matin, ils investissent la ville et font prisonnier les officiers "loyalistes". A cet instant, ils sont devenus des rebelles.

 Challes, Salan, Jouhaud et Zeller ne s’attendaient pas à ce que l’armée se montre si attentiste. Le 25 avril au soir, ils apprennent que le putsch a échoué. Ils regagnent leur cantonnement en Petite Kabylie et passent huit jours à attendre que la justice tombe.

 Il sont désespérés. Les journaux de métropole les trainent dans la boue. Puis les ordres arrivent de Paris. Il faut reprendre les opérations. Mais plus personne ne veut continuer à se battre.

 Quinze jours plus tard, la commission d’enquête passe. le commandant en second et deux capitaines sont envoyés en France pour passer en jugement. Tous les autres écopent de quarante jours de forteresse qui ne seront pas été faits.

 "Personnellement, j’étais profondément blessé. J’envisageais de démissionner. Moi pour qui l’Algérie française avait été jusqu’alors quelque chose de très vague. J’attendais que De Gaulle nous dise quelque chose comme : « Messieurs, l’intérêt national a changé. Ce que j’ai cru possible il y a trois ans, je m’aperçois que ça ne l’est plus. Nous allons rentrer en France. Ceux qui laissent tout ici seront dédommagés. Et nous ramènerons avec nous tous ceux qui ont cru en nous, quelle que soit leur religion, chrétiens, juifs, musulmans. » Si j’avais entendu ce discours, je ne serais jamais passé de l’autre côté. Je ne pardonne pas à de Gaulle sa duplicité et son mensonge délibéré."

 L’idée de rejoindre l’OAS mûri pendant cinq mois. Il a 25 ans. L’OAS apparaissait "bordélique". Il s’est dit qu’il pouvait apporter une pierre à l’édifice - sans trop savoir laquelle...

 Lors de sa dernière permission, il est rentré à Paris. Sans rien dire à personne, surtout pas à mes parents qui étaient gaullistes convaincus et qui ne partageaient pas mon indignation. Il change son billet d’avion et, au lieu de rejoindre son régiment, il rallie Alger et la
clandestinité.

 Normalement, un déserteur, c’est quelqu’un qui fuit la guerre mais lui, au contraire, fuit une armée qui s’y
dérobe.

 "Je ne me suis aperçu que la cause était perdue qu’une fois rejoint les rangs de l’OAS. Mais il fallait assumer, ne pas se résigner. Je ne pouvais pas faire marche arrière. C’est comme dans une partie de poker : on joue, on perd, on paie. Nous voulions être présents pour empêcher
que l’Algérie ne tombe aux mains des indépendantistes algériens. Je n’acceptais pas l’idée que le vainqueur fut désigné à l’avance. C’était mettre la population devant le fait accompli. Nous pensions pouvoir encore empêcher ce processus de remise des clés au FLN."

 Sur le plan militaire l’OAS ne représentait pas grand chose. Le colonel GARDES l’avait envoyé à Constantine. "Il n’y a jamais eu à Constantine plus de dix hommes capables de tenir une arme ! Par contre, une majorité de civils était structurée pour distribuer des tracts, faire passer des mots d’ordre de grève, taper sur des casseroles...
Ces actions de propagande étaient censées paralyser l’Etat français. Ce que nous cherchions à faire."

 Après les arrestations de DEGUELDRE et SALAN il comprend que c’est la fin. En quelques semaines, l’Algérie se vide des Européens. Château-Jobert essaie, jusqu’au bout, de rallier des régiments pour un nouveau putsch, mais il échoue. Il n’y avait plus rien à faire. Ils se résignent à partir. Ils ne sont plus que huit. Ils se dispersent.

 "J’avais des faux papiers d’instituteur obtenus grâce à des complicités à l’académie de Constantine. J’ai regagné Marseille. Il n’a pas été bien difficile de passer les barrages, la police était dépassée par le flot des rapatriés".

 Il apprend sa condamnation à mort par la radio, à Paris, en 1965 pour complot contre l’autorité de l’Etat et commandement de bandes armées. Il ne s’attendait pas à être condamné à mort. Cela le fait rire. La situation plutôt romanesque.

 Pendant 7 ans il va vivre dans la clandestinité en région parisienne, logé par des amis et faisant des petits boulots. Il sera coursier à vélo (au noir) pour un cabinet dentaire. Son patron pensait qu’il était étudiant. Il a eu quelques accidents qui ont bien failli le faire repérer. Parmi ses amis de l’époque, le docteur Claude Gubler (le médecin de François Mitterrand) le fait entrer au cours Sévigné comme professeur de maths. Il y enseigne pendant deux ans.

 Mais, les années passant, il en a assez de vivre dans la clandestinité. Un sentiment de désespoir le gagne. Il décide de se rendre à l’automne 1967. Il sera emprisonné pendant six semaines à la prison de la Santé. Son avocate obtient la liberté provisoire. Il sera amnistié en 1968".