
AVRIL 1958 : La BATAILLE de SOUK ARHAS vue du coté ALN
– Bataille de Souk-Ahras (27 au 29 avril 1958).
Aït Mehdi dit "Si Mokrane", officier de l’ALN en Willaya III, raconte.
– J’ai fréquenté le lycée de garçons de Maison carrée actuellement El-Harrach où je fréquentais un cellule MTLD.
– Je me suis engagé sciemment dans l’armée Française pour mieux la combattre. D’abord la PMS (Préparation Militaire Supérieure), puis école des sous officiers de Cherchell où j’ai préparé ST CYR. Mais j’ai été envoyé à ST MAIXENT d’où je sortis Sous Lieutenant. Le 14 septembre 1957, je suis arrêté à Dinan (France) pour atteinte à la sûreté de l’Etat et tentative de désertion. Je fus mis aux arrêts de forteresse puis incarcéré à la prison de Fresnes.
(il y a une anomalie de dates à ce niveau qui peuvent faire douter de la véracité de son parcours dans l’Armée Française).
– A ma libération, je prends la décision de rejoindre les rangs du FLN/ALN. Je me porte volontaire pour la Willaya III en même temps que Benmessabih lui aussi ex-officier de l’armée française et originaire de Mascara. Les affectations nous sont notifiées par Arezki Bouzida. Nous sommes ensuite conduits à Ghardimaou où nous recevons notre paquetage. Je me défais alors de mes habits civils et de mon identité au profit de Mohand Ouchaâbane qui avait perdu un bras en Wilaya III. Après cela, nous regagnons le camp d’El Mina où étaient cantonnés les djounouds de la Wilaya III. La direction du camp est assurée par Hidouche mort au combat en août 1959 dans l’orangeraie d’Annaba.
– Après quelques jours passés là, nous embarquons sur des véhicules civils en direction du camp de Zitoun, situé à la frontière. Là, je rencontre le commandant Bensalem dit "Si Abderrahmane" "Que Dieu ait son âme" originaire de la région de Souk Ahras. Il portait une cravate à laquelle il devait tenir. Il était calme et chaleureux, fumait beaucoup et ne se séparait jamais de sa canne.
– Ex sergent-chef de l’armée française, déserteur en 1956 avec plusieurs autres militaires, ils ont emporté l’armement complet d’une compagnie et détruit le camp où ils étaient. Compagnon du Colonel Aouachria, Commandant de la Base de l’Est de l’ALN, le commandant Bensalem a joué un rôle important dans l’acheminement en hommes et en armes au profit des willayas de l’intérieur. Le lendemain de notre arrivée, nous nous dirigeons vers la ligne Morice où le commandant Bensalem chargé de notre passage était déjà parti en élément précurseur.
– Le franchissement de la ligne Morice se faisait un par un par nuit très noire. Un passage était creusé sous le premier réseau électrifié qu’il fallait emprunter en rampant et en s’aplatissant au maximum dans la flaque d’eau qui inondait les lieux.
– Si Abderrahmane se tenait debout toujours muni de sa canne. Tout à coup, un cri déchirait la nuit et une odeur de cheveux brûlés se dégageait. Un djoundi venait d’être électrocuté. Si Abderrahmane, à l’aide de sa canne tire le corps pour libérer le passage. Un instant après, un second djoundi subit le même sort. Une fois le passage du premier réseau achevé ; un char arrivait balayant de ses projecteurs la zone où nous nous trouvions (entre deux réseaux électrifiés).
– Immobilisés et plaqués au sol, nous échappions aux vues de la patrouille. Vu l’heure tardive (4 heures), il fallait cisailler le second réseau et foncer à vive allure. Au lever du jour (7 heures), nous arrivons sur le terrain où il n’y avait ni montagne, ni rocher, ni maquis.
– A 4 kms environ à vol d’oiseau apparaissait un poste militaire. Soudain, se dirige vers nous un avion d’observation Piper.
– La seule stratégie qui s’imposait devant une situation aussi critique était la dispersion. Que faire contre des chars et des avions ?. Ordre a donc été donné de se disperser par petits groupes. Pour ma part, j’ordonnais aux sept djounouds qui étaient avec moi de garder leur sang froid, de s’aplatir le long d’une tranchée naturelle et de se reposer. En fin d’après-midi, nous sommes repérés par un hélicoptère et immédiatement après un avion d’observation Piper suivi d’un T6, se dirigent vers nous.
– Je prends la tête du groupe et nous détalons du plus vite que nous pouvions après que le Piper eut balancé une grenade fumigène destinée à signaler au T6 notre position.
Lorsque le T6 expédie sa mitraille et sa roquette, nous étions déjà loin. C’était une folle course poursuite qui a duré le temps de quelques bonds jusqu’au moment où le talweg devient assez profond et où nous sommes arrêtés dans notre course par un mur de ronces. Les avions nous perdent de vue, tournent au dessus de nos têtes. Le T6 continue de mitrailler au hasard et s’en va.
– Un seul djoundi est blessé, quel miracle ! Mais voici qu’un hélicoptère « Banane » dépose des militaires à 400 m environ devant nous lesquels militaires s’interpellent à très haute voix. L’un d’eux appelait « Mon Commandant » avec un très fort accent du midi. Ils remontent vers
nous en mitraillant et en balançant des grenades dans le fond du talweg. A l’approche des militaires, à savoir 1000 m, je dis aux djounouds qu’il fallai sortir et tirer sur le commandant et ses hommes. L’ancien moudjahid qui venait d’être blessé me dit : « Si Mokrane, restons là et
ayons confiance en Dieu ».
– D’accord, je l’ai écouté et sommes restés silencieux attendant la suite. Arrivés à notre hauteur, ils allèrent brûler une mechta située à proximité. Puis, retentit un coup de sifflet que j’ai compris être l’ordre de ralliement. Dans cinq minutes ce sera la tombée de la nuit. Nous sortons de notre refuge et allons prospecter les lieux non loin de là où l’aviation est intervenue très
activement. Nous découvrons quelques djounouds tombés au champ d’honneur, délestés de leurs tenues et pataugas. Nous nous dirigeons vers une mechta devant laquelle se tenait un habitant. Il nous fait rentrer chez lui, nous donna le peu de couscous qui lui restait un café et une cigarette chacun. Nous lui demandons de nous accompagner et de nous mettre en contact des djounoud de la région ou nous conduire vers un relief favorable. Il répondait que les militaires étaient embusqués un peu partout et qu’il nous proposait de nous abriter à l’intérieur d’une cache à 20 minutes de là dans un terrain vague. Nous n’avions d’autres alternatives que de lui faire confiance.
– Cette opération de franchissement avait mobilisé 1.300 moudjahidines et a eu lieu en plusieurs points de la ligne Morice les 28, 29 et 30 avril 1958 et du 1er au 3 mai 1958. Depuis le 28 avril jusqu’au 3 mai, un bataillon de l’ALN renforcé de deux katiba a livré des combats inouïs pour rompre un encerclement aux portes de Souk Ahras. Ce fut une bataille marquante de notre lutte armée. Son ampleur a justifié que le général Vanuxen, commandant la zone Nord constantinois, s’y implique personnellement.
Les combats ont été très rudes en de nombreux endroits.
– Des corps à corps furent fréquents, les assauts repoussés et renouvelés pour rompre des encerclements se sont succédés, marqués parfois par des ruses et des
simulations efficaces. Le nombre de morts, près de six cents, côté ALN et quasiment l’absence de prisonniers attestent de la détermination des djounouds de l’ALN et de leur foi dans la cause de l’indépendance.
– Notre déplacement jusqu’à la Wilaya III a été une très grande épreuve. Nous faisions de longues étapes parfois presque au pas de gymnastique de façon à arriver en lieu sûr avant le lever du jour. Nous manquions de sommeil. Il m’est arrivé de dormir en marchant l’espace d’un moment sans pour autant perdre mes réflexes. C’est inimaginable.
Nous avions parfois les pieds en sang car les jours de repos étaient inexistants et pour nous soulager, nous utilisions une plante appelée « Amaghramane » dont nous mettions les feuilles sous la plante des pieds à l’intérieur des pataugas jusqu’à ce qu’elle perde ses effets. Cette plante cicatrisait la peau, la rendait un peu plus dure, réduisait la transpiration et soulageait la
douleur. Certaines étapes étaient dures, car nous marchions à travers les maquis en dehors des sentiers pour éviter les endroits à risques, parfois accompagné par de gros orages où la nuit était tellement noire, le vent réellement fort qu’il fallait se coller les uns aux autres. Nous dormions parfois dehors, tantôt dans des refuges aménagés par des moudjahidines en zones
interdites et aussi chez l’habitant. Même fatigués, la foi nous transformait au point où nos comportements d’endurance et de courage étaient invraisemblables. Quel potentiel de réserve chez l’être humain lorsque celui-ci est tenu par un idéal, par la foi.
– La rencontre avec le colonel Si Amirouche (Que Dieu ait son âme) a lieu à Bounaâmane. Il me pose quelques questions, s’informe et me dit : « Repose-toi ». Le lendemain, je me rends avec lui dans l’Akfadou et là, il me confie la formation intensive et accélérée d’une compagnie. A l’issue de ce stage très efficace, la compagnie fut présentée en présence de hauts cadres et
djounouds. Satisfait, il me fait cadeau de sa propre carabine et de sa montre automatique, n’ayant pas suffisamment de chargeurs, il m’en réclama deux autres au commandant Si H’mimi, chef de la zone I qui se tenait à sa droite. Le lendemain, nous partons à Aït Ouabane au pied
du Djurdura où il me confia le commandement de la compagnie de cette région d’Aïn El-Hammam, précédemment dirigée par l’aspirant Si Layachi.
– J’aide à la création de plusieurs unités de commandos, au renforcement de l’équipe d’artificiers du village Tasga Melloul (douar Aït Menguellat), et la mise en place d’un bataillon dans la région de Kouriet. Le 12 septembre, accrochage où nous avons fait de nombreux morts au sein de l’ennemi et où nous avons perdu trois djounouds et un blessé par des éclats d’obus en la personne de Zahzouh, de la Fédération FLN de Tizi-Ouzou. Le 13 octobre 1958, je me trouvais avec une section au village Aghoussim lorsque des forces ennemies considérables se mettent en place. Un Piper survolait les lieux.
– Nous ne connaissions pas le terrain. Soudain, surgissait le sergent-chef militaire Si Mouloud dit « Rimifon », actuellement commandant en retraite de l’ALN, pour me dire que le lieu le plus recommandé pour le combat était « Tazrout Ou Amrane ». C’était une crête rocheuse couverte d’un petit maquis qui abritait dans ses grottes plusieurs moussebilines et recherchés et séparée du village Tifilkouts par une rivière. Vu l’ampleur de ce qui se préparait et la position stratégique de Tazrout Ou Amrane qu’il fallait occuper avant l’ennemi et donc suivis par le Piper, nous allons au pas de course nous y installer.
La bataille de Tazrout Ou Amrane face au village de Tifilkouts dans la région de Illilten où avec une section nous avons résisté aux assauts des militaires et des T6 depuis 11 heures jusqu’à la tombée de la nuit sauvant ainsi tous les moussebilines et les recherchés dont certains ont quitté les lieux au moment du repli (20 minutes avant la tombée de la nuit) et d’autres à la faveur de la nuit. Au cours de ce combat héroïque, je fus blessé trois fois : une fracture au coude droit et deux autres au pied gauche. Un moudjahid blessé grièvement au thorax se voyant mourir, me remet son arme : un mousqueton qui m’a permis de neutraliser un parachutiste à 6 m de moi et de faire feu sur un Piper qui s’attaquait à moi l’obligeant à prendre la fuite.
– En guise de représailles contre cette résistance farouche, un B26 largua à deux reprises sur le village Tifilkouts des bidons de napalm détruisant plusieurs maisons et tuant plusieurs civils sans défense. Une partie du village était encore en flammes à la tombée de la nuit. Quelques temps auparavant, il m’était arrivé d’assurer la protection du colonel Si Amirouche au village de Darna, lorsqu’il recevait sa mère, l’espace d’une nuit. La seconde fois, alors qu’il pleuvait et qu’il y avait du brouillard, des militaires venus du poste d’Ait Saâda, sont arrivés jusqu’aux abords du village où ils ont eu droit à un feu très nourri de la part des djounouds installés aux points stratégiques.
– Avec le colonel Si Amirouche, j’ai eu à rencontrer le colonel Si Haoues, chef de la Wilaya VI, le colonel Si M’hamed, chef de la Wilaya IV et Si Abdelkader El-Bariki, un vaillant combattant d’un courage sans pareil qui est mort par la suite en héros à Djebel Bou Abad et enterré au
village Righia dans la plaine de Annaba.
– Au cours de la même année, j’ai eu le plaisir d’accompagner et d’escorter le commandant Si Omar
Oussedik (Que Dieu ait son âme) et le commandant Azzedine qui traversaient la région de Aïn El-Hammam pour se rendre en Tunisie.
– Après mes blessures, j’ai longtemps boité. La rééducation se faisait sur le terrain et sans
ménagement. J’assurais alors les fonctions de chef de région successivement dans la région de Aïn El-Hammam puis de la vallée de la Soummam Béjaïa et l’Akfadou - Mindjou et Beni Ksila et enfin celle de Draâ El-Mizan - Boghni - Tizi Ghenif - Sidi Ali Bounab - Naciria -Draâ Ben Khedda
– Bou M’henni, etc. J’ai eu pratiquement à opérer dans les deux dernières régions durant et après l’opération "Jumelles". Des moyens énormes et impressionnants ont été mis en place par l’ennemi
et une stratégie nouvelle a été appliquée. Les zones interdites où nous vivions ont été investies par l’ennemi, ses troupes ont été larguées sur l’Akfadou d’autres ont été héliportées. Des convois n’arrêtaient pas de se mouvoir et des engins de travaux publics étaient mis en branle. Nous avons eu des pertes considérables et pour déjouer la supériorité de l’adversaire, nous avons du
appliquer la stratégie de la guérilla qui nous a permis, notamment dans la région de l’Akfadou et Béjaïa, de réussir quelques actions d’éclats.
– Des villages entiers ont été détruits et vidés de leur population, lesquelles ont été installées dans d’autres villages entourés de barbelés rendant ainsi les contacts avec les moudjahidines difficiles. Les péripéties de cette période de ma vie et de cette belle page d’histoire faite de bonheur, dans la douleur parfois, le sacrifice, les émotions, l’enthousiasme de cette vie hors du commun, seront relatés dans un ouvrage que je me dois d’entamer rapidement.
– EPILOGUE sur la bataille de SOUK HARAS : Le chef du 4e bataillon, feu Ahmed Sirine, n’ayant pu franchir le barrage, c’est son adjoint militaire, Youcef Latreche, ancien sous-officier déserteur qui conduisit la bataille. Les récits rapportés à ce sujet, notamment par le capitaine Mokrane Aït Mehdi côté ALN (Wilaya III), et le général Robert Gaget, côté armée française, ne sont que des épisodes de cette grande bataille. Elle le fut par l’intensité des combats, le courage des combattants, l’ampleur gigantesque que les moyens déployés par l’ennemi, tant aériens que terrestres.
L’ALN, forte de près de 1.300 hommes fit une démonstration de courage et d’abnégation. Devant l’inégalité des forces et l’incertitude de rejoindre leur zone, ils durent devant cette forte adversité de battre comme des lions. Nombreux sont ceux qui sont tombés au champ d’honneur. La cause des nombreuses pertes subies par les français est due à l’expérience des hommes et des chefs qui, malgré un terrain peu favorable, surent l’utiliser au mieux en recherchant d’abord la dispersion créant ainsi plusieurs points d’ancrage et obligeant l’ennemi à disloquer son commandement et ses liaisons. Celle de l’ALN était tout autant par la violence des combats et aussi la qualité des troupes, mais le gros de nos pertes est incontestablement du aux frappes aériennes et à l’artillerie. Cette tactique et la rage de réussir le passage permit à l’ALN de faire durer les combats pendant près de 8 jours.
Aux 1.300 djounouds l’Armée française opposa 6 bataillons d’infanterie, 4 régiments paras, 1 groupement blindé et un appui feux aérien et d’artillerie. L’ALN s’est battu à 1 contre 12.
Du côté Français, on notera le communiqué suivant :
– "26 Avril - 5 MAI 1958 : Un bataillon de l’ALN tente de franchir le barrage Tunisien : 680 membres de l’ALN tués ainsi que 87 militaires français".