AUX CARREFOURS de la GUERRE

, par mansion

 11 Novembre 1940, Paul-Alain LEGER manifeste à l’Arc de Triomphe aux côtés de ses camarades lycéens contre l’occupant allemand. En mai 1961, devenu capitaine
après avoit traversé tous les grands carrefours de la guerre, il se retrouve incarcéré au Fort de Nogent à la suite du Putsch des généraux à Alger. Ce raccourci résume le caractère exceptionnel de la vie de ce combattant.

 Il sera chargé pendant la deuxième guerre mondiale de missions de commando.

 Au cours de la guerre d’Indochine il dirigea des unités entièrement constituées d’anciens Viet-minh "retournés".
Parmi ses spécialités : se faire passer pour une unité communiste...

 Mais c’est au cours de la guerre d’Algérie, et en particulier pendant et après la "bataille d’Alger", qu’il donna toute sa mesure. Il se révéla un as du
"retournement" d’éléments adverses parfois bien placés.

Colonel BIGEARD - Général Massu - Colonel TRINQUIER - Capitaine LEGER

 Janvier 1958, c’est la fin de la "bataille d’Alger". Le FLN ne parvient plus à frapper la capitale. Des hommes de LEGER entrent en contact avec l’état-major FLN pour proposer leurs services. On leur demande des attentats impressionnants. Que faire ? Pour garder leur confiance, LEGER organise lui-même quelques attentats à la grenade, en veillant à ce qu’ils ne fassent aucune victime ni aucun dégât important (les "cibles" étaient parfois prévenues et avaient ordre de ne pas poursuivre le "terroriste", ou de le poursuivre dans une fausse direction). L’état-major de la Wilaya (région) 3 fait savoir que ce n’est pas suffisant, et qu’il se dispose à envoyer d’autres poseurs de bombes. Les "protégés" de LEGER répondent qu’ils ne demandent pas mieux que de répandre un maximum de sang, mais qu’ils éprouvent de terribles difficultés techniques et autres, et ne peuvent les expliquer que de vive voix.
Ils obtiennent ainsi une entrevue pour organiser une suite plus percutante. LEGER les accompagne en personne... et il capture sans coup férir les chefs FLN.

 Le 25 janvier 1958 il arrête à Alger Zohra TADJER, dite Roza, une jeune fille de dix-huit ans. Ce n’est pas une grosse prise, elle n’a fait que confectionner un drapeau algérien. Il essaie de la "retourner" et de la convaincre de changer de bord. Elle paraît accepter mais... trop facilement. Car elle a manifestement des convictions et du caractère. Il comprend qu’elle ruse, qu’elle ne se soumet que pour recouvrer la liberté, et rejoindre le FLN. Il
décide de l’utiliser autrement .... il continue à jouer ce jeu du retournement. Et dans les nombreuses conversations, de plus en plus détendues sinon confiantes, qu’il a avec elle, il glisse bientôt un argument nouveau.... il lui laisse entendre que de nombreux cadres du FLN trahissent aussi. Il montre même à Zohra, pour appuyer ces insinuations, des lettres émanant de membres haut gradés de l’organisation FLN. Plus vicieusement encore, il la laisse seule sous un prétexte quelconque face à ces lettres. Juste ce qu’il faut pour lui permettre de déchiffrer les signatures, et donc les noms des expéditeurs, pas assez pour qu’elle puisse tout lire (ces documents ont été en fait interceptés et leur contenu ne dénote aucune trahison). Après quoi il ne reste plus qu’à libérer la naïve Zohra, en continuant à feindre de croire à son "retournement" sincère et total. On lui souhaite bonne chance, on lui promet de nouvelles instructions. Le résultat dépasse les espérances les plus folles de LEGER. La malheureuse, convaincue d’avoir berné l’armée Française, gagne le maquis et s’empresse de dénoncer les "traîtres". Et elle est conduite à AMIROUCHE, le chef de la wilaya 3, le plus impitoyable et le plus maladivement méfiant des leaders F.L.N. Ce dernier fait torturer d’abord tous les hommes ainsi désignés. Beaucoup finissent par avouer n’importe quoi et dénoncer n’importe qui : il est encore plus difficile de résister moralement à la torture quand elle vient de son propre camp.

D’où une purge sans précédent dans la Wilaya 3 et bientôt aussi dans la Wilaya 4, visant de préférence les intellectuels, les bêtes noires d’AMIROUCHE. Médecins, ingénieurs, enseignants, qui s’étaient joints sincèrement à la lutte du FLN, sont massacrés, une perte irrémédiable pour la future Algérie indépendante. Mais Amirouche ne fait confiance qu’à ses solides montagnards.
Zohra elle-même est atrocement torturée et finalement égorgée.

Cet épisode de la guerre d’Algérie est connue sous le nom de "La BLEUITE" parce qu’AMIROUCHE liquida beaucoup de nouveaux engagés du FLN pensant qu’ils étaient envoyés par LEGER.

 Voici un extrait de Djoudi ATTOUMI, officier de la Willaya III au sujet de la "bleuite" :

"La plaie de la Bleuïte : La Bleuïte est le nom donné à cet épisode qui a vu les officiers de l’armée française orchestrer une infiltration des troupes de l’ALN après l’écrasement de la Bataille d’Alger en 1958. Les doutes qui ont entouré l’arrestation du lieutenant SALHI dans la région de BORDJ MENIEL ont été approfondis par les révélations, après interrogatoire, d’une jeune militante du nom de Rosa, selon lesquelles un complot d’envergure a été conçu par les officiers ennemis, à leur tête un certain capitaine LEGER, pour saborder de l’intérieur l’armée des moudjahidine. AMIROUCHE était désemparé devant l’ampleur du mal et ses responsables l’ont persuadé de la présence d’un complot contre la Révolution. Il décida alors d’un plan de riposte ... il y a eu l’installation d’un centre d’interrogatoire dans l’AKFADOU, l’arrestation de tous les jeunes en provenance d’Alger et l’interdiction de tout nouveau recrutement ont figuré parmi les mesures prises. Il y eut des arrestations pêle-mêle au niveau des officiers ... un vent de panique a soufflé sur la Wilaya III, la psychose de la Bleuïte s’y était installée pour plusieurs mois. Les états-majors français avaient réussi à semer le doute partout. La responsabilité était telle sur les épaules du colonel AMIROUCHE qu’il décida de prendre à témoin ses compagnons officiers et leur demanda conseil en aout 1958... Il avait demandé à l’assistance de se prononcer sur le problème car, disait-il, il ne voulait pas être considéré, demain devant l’histoire, comme un criminel de guerre et qu’il leur appartenait à tous (les moudjahidines) de prendre leurs responsabilités. Devant la gravité de l’affaire, l’ambiguïté des aveux spontanés et les dangers qui menaçaient la révolution, qui aurait eu le courage de prendre une position contraire à celle de Amirouche ? Conditionnés tels que nous étions, nous voyions le mal partout. Pour nous, c’est toute la révolution qui était en danger. Autant tout faire pour la sauver.
Selon ATTOUMI il y aurait eu 400 victimes de cet épisode noir mais les estimations Françaises parlent de 3000 victimes.

 Ce genre de manoeuvre fût encore utilisé fin 1959. Une patrouille française capture dans la montagne un combattant FLN du nom de KOUIDDER. On l’emmène dans une villa, on le traite bien, et le capitaine lui suggère de retourner dans le maquis pour prêcher la "paix des braves". Le prisonnier commence par protester : il n’est pas un traître ! Suivent, pendant plusieurs jours, des discussions animées, où les deux hommes font assaut d’éloquence et d’hypocrisie. Le Français fait miroiter la future Algérie française où les Musulmans auront des droits égaux à ceux des Européens. KOUIDDER dénonce les bombardements aveugles de l’aviation française sur les villages, l’autre ne se vexe pas et lui retourne les massacres et atrocités perpétrés par le FLN. Enfin, après qu’on lui ait donné des garanties concernant sa famille (ce point sera respecté), KOUIDDER finit par accepter.
Une évasion simulée, au cours d’un transfert, lui permet de regagner le maquis où on commencera par le fouiller minutieusement. C’est la règle, il le sait et l’accepte. Mais à sa grande surprise, on trouve dans une cavité de sa semelle une liste de dix noms, dix combattants du FLN. Et des hommes réputés pour leur mauvais esprit (pessimisme, idées politiques déviantes, indiscipline, etc.). Et encore deux messages personnels dans la doublure de sa djellaba. KOUIDDER proteste, dénonce la perfidie des Français... peine perdue. Abominablement torturé, il finit par avouer tout ce qu’on veut, et les hommes "dénoncés" par lui également. La purge est encore terrible.

 Un certain BELHADJ Djillali, plus connu sous le nom de KOBUS, sert d’abord d’informateur à l’armée française.
Puis, peu à peu, il réussit à convaincre ses patrons qu’il peut faire mieux. Il recrute jusqu’à un millier d’Algériens en leur tenant un discours bien particulier :
"Les Français sont prêts à nous accorder l’indépendance à condition d’écraser d’abord ces communistes du FLN. Donc en combattant le FLN nous combattons pour l’Algérie indépendante..." Et de fait, dans son camp, on salue en même temps le drapeau français et le drapeau algérien...
Jeu dangereux, mais KOBUS montre une efficacité certaine, au point d’inquiéter sérieusement le FLN. Ce dernier charge AZZEDINE de lui régler son compte.
Un poste français se trouve non loin du camp de KOBUS, pour le surveiller. Chaque jour, une patrouille de KOBUS s’en va jusqu’au camp français, puis une patrouille française effectue le trajet inverse. Enfin, après tous ces contrôles, un officier français s’en va inspecter le camp de KOBUS, car on s’en méfie de plus en plus. AZZEDINE fait d’abord poser une mine télécommandée. Elle laisse passer les deux patrouilles mais explose au passage de l’officier, le blessant grièvement, ce qui accentue la méfiance.
Quelques jours plus tard une ferme voisine des deux camps, et qui se croyait à l’abri précisément grâce à ce voisinage, est attaquée de nuit. Ses occupants sont massacrés et un millier de moutons emmenés. On promène les bêtes du côté du camp de KOBUS, en laissant leurs traces évidentes. Puis on les emmène dans le maquis, mais cette fois en prenant soin d’effacer les empreintes. Pendant ce temps, d’autres hommes d’AZZEDINE harcèlent le camp français.
La position de KOBUS devient intenable. Ses vingt-deux officiers, las du double jeu, s’en vont tout bonnement proposer leurs services au FLN. Pour prouver leurs bonnes intentions, ils apporteront la tête de Kobus et traîneront avec eux une grande partie de ses soldats. Le FLN fera exécuter discrètement les vingt-deux officiers, et dispersera les hommes au sein de ses unités.

 Le 17 novembre 1958, par une opération coup de poing dans la campagne algérienne, les forces du général Massu réussissent, la chance aidant, à blesser et capturer AZZEDINE. Le prisonnier est soigné avec les plus grandes attentions, et logé dans la villa même de Massu. L’heure est à la "paix des braves", mot d’ordre de De Gaulle. Et justement on tient un brave. Donc, après l’avoir bien choyé, le capitaine MARION lui fait des propositions
"honnêtes". On le libère s’il accepte à son tour d’aller prêcher la "paix des braves" à ses frères d’arme. Comme garantie, on lui demande seulement sa "parole d’honneur". En outre, s’il se montre docile jusqu’au bout, on lui promet une somme rondelette et une place de choix dans la
nouvelle Algérie française purgée de ses injustices.
Azzedine accepte avec une formule très à la mode : "Capitaine MARION, je vous ai compris !" Après quoi il regagne le maquis, revient une fois voir le capitaine Marion pour lui rendre compte. Puis deuxième aller-retour, troisième. La quatrième est définitive, AZZEDINE reprendra le combat. Entre-temps, il a mis sa famille à l’abri.

 1957, le commandement français découvre que des camions transportant régulièrement du poissons frais du Maroc jusqu’à Alger acheminent aussi des armes pour le FLN. Les conducteurs espèrent ainsi ne pas être la cible d’attentats. Ce sont des commandos français qui s’en chargent, au bazooka ou à la bombe, en imitant à chaque fois au mieux le style de l’adversaire. Le trafic cesse bientôt.

 Début 1960, les services secrets français découvrent que "El Moudjahid", le journal indépendantiste, après rédaction et mise en page mais avant impression, transitent par l’aéroport d’Alger. "On" la laisse fonctionner, mais on modifie au passage, subrepticement, certains articles. "On" infléchit le ton des récits de combats les rendant nettement moins optimistes, "on" remplace une consigne de boycott de certaines élections par un appel à voter lors de ces mêmes élections, enfin, plus sournois, on insère une revendication territoriale de l’Algérie sur une région du Maroc. Cette revendication est bien réelle, et d’ailleurs solidement étayée par des documents fournis entre autres par l’administration
française.....