1962 : SEJOUR à la SANTE

, par mansion

 Arrivée un soir de Mai 1962 à la SANTE dans un fourgon cellulaire. Enregistrement au Greffe, la fouille (à poil) puis regroupement avec d’autres "entrants" et direction une cellule. L’univers carcéral est bizarre ... surtout quand on ne l’a pas prévu et qu’on pas d’information à son sujet. On découvre cet univers étrange fait de grands halls à étages coupés de portes barreaudées et dans une pénombre où le soleil ne pénètre pas. On peut le comparer à un grand bateau ou à un sous marin.

 Arrivé devant une cellule, la 7/32 pour être précis, le "maton" (gardien de prison) ouvre la porte à grand bruit de clefs et s’adressant aux 2 occupants : "Il y a ici déjà deux Pieds-Noirs, et voici 2 OAS ... ! ne vous disputez pas".

 Le matin : petit déjeuner, café au lait, pain servi sur le pas de porte.

 Promenade dans la matinée, 1 heure dans les préaus cloisonnés, 15/20 personnes par préau.

 Midi déjeuner servi sur le pas de porte : entrée, viande, légumes, dessert (correct). Celui qui avait les moyens pouvait améliorer les repas en "cantinant" c’est à dire en commandant des suppléments.

 L’après midi était longue. Dans notre cellule nous avons appris à jouer au BRIDGE et nous préparions des "stroungas" pour le soir. (En "cantinant" on pouvait commander des boites d’allumettes. Nous décortiquions le phosphore ainsi que la poudre du frottoir. Le tout était mélangé soigneusement et enveloppé dans un papier d’aluminium (papier chocolat)).

 Ensuite nous faisions des sarbacannes de 50 cm (en enroulant du papier). A l’intérieur on introduisait une "fusée" conique en papier portant au sommet la boule de papier d’aluminium scotchée. Soufflé par la fenètre, ce projectile pouvait faire 100 mètres et explosait au premier contact. Cela nous rappelait nos "aventures" ...

 A trois reprises, le matin très tôt, vers cinq heures, nous avons été réveillés par des hurlements stridents qui provenaient des compagnons de cellules des membres de l’OAS qu’on venait chercher pour exécution.

 Le soir, on écoutait les informations. Quelqu’un criait à la fenètre "la 5, la 7, la 9 (division) .... Informations ! Et une voix de centaure nous donnait les infos de la journée.

 Après le diner du soir, semblable à celui du midi, on montait aux fenètres pour écouter les informations et ensuite concert de "casseroles" et chants militaires. Ces chants entonnés par 2000 détenus nous stimulait et causaient des désagréments aux habitants du quartier (Citation de NEHRU : "chaque personne devrait faire un tour en prison une fois dans sa vie"). Et effectivement ses chants nous donnaient du baûme au coeur.

 Une fois par semaine nous allions aux douches. Dans l’après midi il y avait des appels aux hauts parleurs pour le parloir (le matin c’était le parloir avocats).

 Le dimanche matin était consacré aux offices religieux qui permettait de nous retrouver.

 De temps en temps il y avait les interrogatoires au Fort de l’est devant le juge d’instruction. Les gardes mobiles nous accompagnaient, enchainés comme des forçats, dans des autobus grillagés et escortés.

 La nuit les gardiens faisaient des rondes et à chaque cellule ils allumaient et regardaient par l’oeuilleton si on n’était pas en train de scier les barreaux ... L’un de ces gardiens était surnommé "nenoeuil". Dans l’obscurité on voyait les lumières s’allumer et s’éteindre et ainsi on devinait l’arrivée du gardien. Un détenu de droit commun violent attendit une nuit que la lumière s’allume dans sa cellule et avec un porte plume piqua l’oeil du gardien à travers l’oeilleton et le lui creva. Le gardien, sous le coup de la douleur fit quelques mètres pour téléphoner et de ce fait ne se rappela plus du numéro de la cellule. Le coupable resta impuni. Un mois après le gardien repris ses fonctions avec un oeil de verre et c’est pour cela qu’on le surnommait "Nenoeuil". Cet incident était arrivé quelques mois avant notre venue à LA SANTE.

 Le "yoyo" : Pour communiquer ou transmettre des objets d’une cellule à l’autre nous utilisions le "yoyo", c’est à dire une gant de toilette attaché à une ficelle. On prévenait la cellule voisine en tambourinnt sur sur sa cloison et en criant par la fenètre "yoyo". Ensuite on balançait comme un pendule la ficelle avec le gant (qui contenanit l’objet à transmzettre) et la cellule voisine en tendant le bras attrapait le gant, récupérait le contenu et faisait l même chose avce l’autre cellule voisine et ce jusqu’à la cellule destinatrice. Il arrivait que le "yoyo" tombe dans le chemin de ronde. Les "matons" ne nous les rendaient pas en principe.

 Le tic des "matons" était de faire cliquer leurs clefs sur les rambardes des coursives ce qui engendrait un bruit caractéristique, désagréable surtout en pleine nuit, et ce bruit nous rappelait que nous étions enfermés.

 Une fois de temps en temps, de manière inopinée, les gardiens venaient tester les barreaux des cellules avec une tige de fer.

 Coucou à mes camarades de la cellule 7/32 s’ils lisent ces lignes un jour :

 CASANOVA Jacques
 MANSION Daniel
 ACCOMANDO Andréa

et à ceux de la Division 7 en général ....
 Lieutenant BAECKERROOT Christian
 MANOURY
 GHENASSIA
 BIBERSON Jean Luc
 etc

 Un jour il y eu le jugement par le tribunal militaire.

 puis la prison de FRESNES.

 Et la liberté retrouvée.